samedi, août 26

Keith qui se passe ?

Bon, d'accord, jeu de mot pourri... (j'aurais pu mettre "Jarrett de faire la diva" aussi...)

A ceux à qui j'ai raconté nos deux concerts à Marciac cet été (Jarrett et Mehldau), je transmets l'article de Libé sur le "divo":


Jazz in Marciac. En entame de la 29e édition, le pianiste américain a refait le caractériel.
Keith Jarrett tient son rang de goujat
Par Serge LOUPIEN
QUOTIDIEN : Mercredi 2 août 2006


Tout le monde en convient, Jazz in Marciac est aujourd'hui l'un des festivals majeurs de la planète jazzy. Le plus masochiste aussi. Ainsi se souvient-on de certains shows tumultueux du regretté Ray Charles, grand spécialiste de l'embrouillamini scénique (rapport à la célérité des adeptes du zoom) et des pugilats backstage (pour de sombres affaires de picaillons). Ou encore de l'apparition «vincetayloresque» de Nina Simone, ex-militante soul intronisée mousquetaire d'Armagnac, qui allait pourtant offrir à cinq mille voyeurs égrillards un de ces concerts dramatiques comme l'on n'en voit peu dans une vie de festivalier.
On l'aura compris, Jean-Louis Guilhaumon, fondateur et président de la manifestation, cultive un certain art du risque. Dont on pouvait penser qu'il avait atteint son pic avec la programmation, en 2001, du caractériel Keith Jarrett (qui a déclaré un jour que Wynton Marsalis avait «une influence très négative sur le jazz» ); lequel refusait obstinément jusque-là de se produire «sous un chapiteau», lieu réservé aux charlatans et aux saltimbanques.
Pas d'odeurs, etc. Or, le suffisant chevalier des Arts et des Lettres ( «une distinction méritée qui souligne la valeur de mon travail» avait-il déclaré à l'époque) n'a rien à voir, on le sait, avec les intermittents. Mais dans sa grande bienveillance, il avait fini par céder aux pressions conjuguées des organisateurs et de son ex-employeur, Charles Lloyd, après que le festival eût cassé sa tirelire et accepté ses exigences iniques (pas de photos, pas de fumée, pas de bruit, pas de va-et-vient, pas de retardataires, pas de buvettes, pas d'odeurs de cuisine, pas d'autre orchestre, etc.), transformant un lieu réputé pour sa convivialité en Gaveau maïsicole, où l'on n'entendait pas un épi voler.
Le public gersois ayant fait preuve, en la circonstance, d'une patience exceptionnelle, on s'imaginait que l'affaire en resterait là. Pas du tout. Cinq ans plus tard, voilà que Marciac remet ça. Invitant le sinistre Pennsylvanien à se livrer une fois encore à son numéro de pingouin. Pour commencer, il a exigé la mise à sa disposition de deux Mercedes classe S, vierges de toute odeur de tabac (la première pour lui, la seconde pour ses sidemen ) et conduites par des chauffeurs «professionnels». Keith Jarrett en effet n'apprécie guère les bénévoles. Il a d'ailleurs interdit leur présence à son concert, après les avoir privés de repas chaud (toujours à cause des effluves culinaires).
Retardé par la charlotte au chocolat. Barricadé dans des coulisses transformées en QHS, il a ensuite crisé, parce que le dessert proposé ne convenait pas à son palais raffiné. Il a donc fallu aller lui chercher une charlotte au chocolat dans un restaurant du village. D'où son retard (treize minutes) au moment de monter sur scène. Rien de bien grave dans l'absolu, sauf que le Sarkozy du clavier avait préalablement exigé que tous les spectateurs aient rejoint leur siège à 20h45, le concert devant débuter à 21 heures précises (sous chapiteau fermé). Mais pourquoi édicter des règles si l'on n'a pas le droit de les transgresser ?
De même était-il conseillé de ne pas abandonner sa place pendant l'entracte. Des bénévoles, munis de sacoches remplies de bouteille d'eau minérale, passant dans les allées (les buvettes étaient closes), afin d'abreuver les spectateurs menacés de suffocation.
Mécanique. On peut se demander d'ailleurs pourquoi ceux-ci n'ont pas protesté (sauf au début, un peu, quand les derniers rangs ont compris que les écrans resteraient inutilisés). Car Jarrett a beau prétendre que seule sa musique compte, celle-ci est à son image : mécanique, dénuée de générosité. Miles Davis aussi tournait le dos au public. Mais c'était pour le provoquer. Keith Jarrett, lui, l'ignore. Et s'il ne le méprise pas (quoique...), il ne lui témoigne aucun respect. Se contentant de distribuer sourires et satisfecit à ses deux faire-valoir: Gary Peacock la balance (en 2001, il avait dénoncé un photographe amateur à son boss), dont on a peine à croire qu'il a pu côtoyer Albert Ayler, et Jack DeJohnette, qui faisait moins le poseur quand Miles lui balançait une serviette à la figure au milieu d'un chorus jugé inacceptable.
Marciac 2006 aura donc démarré rigide, entre parenthèses, sur un gros déficit émotionnel. Heureusement, il existe d'autres fins pianistes peu enclins à se conduire en gougnafiers. Brad Mehldau et Chano Dominguez par exemple, qui partagent à la fois l'affiche de ce soir et un même sens de la prodigalité.

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